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En Attendant le Semainier


Le Mot-Défi de la semaine n'est pas un mot, c'est dire si ça partait mal, cette histoire. Il fallait que je rédige ce billet d'accompagnement "comme un dialogue". N'ayant ni temps, ni énergie, j'ai triché en reprenant Beckett, que j'ai un peu adapté à ma sauce par pure conscience professionnelle (hum !). Mais franchement, de vous à moi, j'aurais gardé l'extrait tel quel, il aurait convenu tout autant.

Ha oui, et dans mon monde idéal, je m'appelle Jérôme et mon collègue du secrétariat élève s'appelle Luc. Va comprendre, Charles (parce que oui, dans mon monde idéal, tu t'appelles Charles).



...

Luc  : Qu'est-ce que tu fais  ?

Jérôme  : Moi ? Je ne fais rien.

Luc : Comme d’habitude alors.

Jérôme : Pareil. Mais moins.

Luc : J’aurais pas cru que c’était possible, tiens.

Jérôme : Où il y a une volonté, il y a un chemin.

Luc  : ça tombe bien. Je m'en vais.

Jérôme : Moi aussi.

Silence.

Jérôme : Il y avait longtemps que je dormais ?

Luc : Je ne sais pas. Tu ronfles depuis février 1984. On s’habitue, à force.

Silence.

Jérôme : Où irons-nous ?

Luc : Pas loin.

Jérôme : Si si, allons-nous-en loin d'ici !

Luc : On ne peut pas.

Jérôme : Pourquoi ?

Luc : Il faut revenir tout à l’heure.

Jérôme : Pour quoi faire ?

Luc : Envoyer le Semainier.

Jérôme : C'est vrai. (Un temps.) Je ne l’ai pas transféré ?

Luc : Non.

Jérôme : Et maintenant il est trop tard.

Luc : Oui, il est dix heures du matin. C'est bientôt la nuit.

Jérôme : Et si on laissait tomber ? (Un temps.) Si on LE laissait tomber ?

Luc : Les chefs te puniraient. (Silence. Il regarde l'armoire à fournitures.) Seuls les trombones vivent. Et un peu aussi les agrafeuses quand on ne les regarde pas.

Jérôme : (regardant l'agrafeuse - qui ne vit pas, du coup): Qu'est-ce que c'est ?

Luc : C'est l'agrafeuse. Tu n’en as jamais vu avant ?

Jérôme : Non. Ça sert à quoi ?

Luc : Je ne sais pas. A ouvrir le courrier ?

Jérôme : Tu es sûr que ce n’est pas plutôt le coupe-papier ?

Luc : Non, non. C’est bien l’agrafeuse.

Jérôme : C’est tellement compliqué, tout ça. Je retourne faire la sieste. Réveille-moi quand on aura compris à quoi je sers.

Luc : Je baisse le thermostat, alors. On te dégèlera en 2122.

Jérôme : Viens voir. (Il entraîne Luc vers son ordinateur éteint. Ils s'immobilisent devant. Silence.) Et si on travaillait ?

Luc : Avec quoi ?

Jérôme : Tu n'as pas des élastiques ou des trombones ?

Luc : Non.

Jérôme : Alors on ne peut pas.

Luc : Allons-nous-en.

Jérôme : Attends, il n’est pas encore onze heures du matin.

Luc : C'est trop tôt.

Jérôme : On a qu’à dire qu’on travaille dans l’hémisphère sud. Il doit être dix neuf heures, là-bas. Du coup, ils nous doivent des heures sup’.

Luc : Et s’il n’était que sept heures trente ? Il faudrait travailler davantage.

Jérôme : Ha zut. C'est vrai.

Luc : Fais voir quand même. (Luc trafique l’horloge interne de son téléphone. Celui-ci explose dans sa main. Le courant se coupe dans tout l’établissement.) Bon. J’aurais essayé.

Jérôme  : J’en suis témoin. Je vais proposer ta candidature pour les Palmes Académiques.

Luc : ça ne sert à rien, je n’aime pas la natation.

Silence.

Jérôme : Tu dis qu'il faut revenir tout à l’heure ?

Luc : Oui.

Jérôme : Alors on apportera des élastiques.

Luc : C'est ça. Et des trombones.

Silence.

Jérôme : Si on démissionnait, plutôt ? Ça irait peut-être mieux.

Luc : On démissionnera demain. (Un temps) Peut-être que quelqu’un d’autre aura envoyé  le semainier d’ici là.

Jérôme : Et s'il est envoyé ?

Luc : Les profs connaîtront le programme de la semaine prochaine.
 
Jérôme : Et c’est bien, ça ?

Luc : Tout est une question de perspectives.

Jérôme : J’ai toujours été nul en dessin industriel.

Luc : ça tombe bien, tu es nul dans le reste aussi.

Jérôme : mes professeurs disaient que c’était ma grande force. En toutes choses, j’étais constant.  Nul, mais constant.

Luc  : Alors on y va ?

Jérôme  : Allons-y. De toute façon, il est onze heure vingt deux. C’est l’heure de la pause.

Luc : A tout à l’heure.

Jérôme : Drôle de lapsus. Tu veux dire "à lundi" ?

Ils ne bougent pas.

Comme d’habitude.


Vous souhaitant un très bon week-end, avec ou sans Godot,

Bien cordialement,

-- 

Le secrétaire de direction.

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