Le
mot-défi du soir n'en est toujours pas un. Il y a décidément
quelque chose qui ne tourne pas rond au Royaume de Roucas. Cette
fois, au menu, ce sera donc "ambiance polar". Après tout,
pourquoi pas ? Il me semble en avoir déjà écrit un dans le genre
il y a quelques années, mais j'ai clairement la flemme de
refarfouiller dans les archives de ce blog, donc je ne garantis pas
qu'il n'y ait pas quelques redites ça et là - comme si ça avait la
moindre importance, d'ailleurs...
C'était
un de ces vendredis soirs sans lune où un privé se saoule sans
raison (et entre vous et moi, y a des vendredis soirs sans lune tous
les vendredis soirs - et même les autres soirs de semaine aussi !).
A
défaut de trouver du travail, j'attendais patiemment que le travail
me trouve mais il a dû planter son GPS ou un truc dans le genre
parce maintenant qu’on bosse dans l’Ecole de la Confiance, les
clients ne se bousculent plus à ma porte.
Faut
dire que la convention Molière m'a forcé à franciser mon nom,
aussi, alors ça aide pas. Et j’les comprends, hein, les
clients."Michel Marteau", ça respire pas
spécialement la fiabilité - sauf si vous bossez dans la
plomberie, ce qui n’est pas mon cas (bon, ok, la plupart de mes
clients finissent par se faire plomber, mais ça n'a rien à voir).
Je
me préparais donc à une de ces soirées que les secrétaires
administratifs connaissent bien (mais de jour) : les pieds sur le
bureau, l'alcool dans le godet, l'ordinateur en mode économiseur
d'écran et le désœuvrement pour unique contremaître.
L’œil
vague et passablement alcoolisé, je regardais les glaçons danser la
lambada dans mon verre de scotch transparent double face quand elle
est entrée dans le bureau, vénéneuse des pieds à la tête dans sa
gabardine Pimkie à 70% code promo N0E7 et ses faux cils en sky de
chez Liddle. Le genre belle plante (carnivore, ça va sans dire) qui
se serait gouré de pot, ou qu'on aurait un peu trop arrosé au Banga
Orange. Tout à fait le style à mener la danse, mais à confondre la
valse et la bourrée, et qui n'aura aucun scrupule à vous marcher
sur les pieds – d’ailleurs (et ça reste entre nous) peut-être
bien que c'est une gonze comme ça qui a poussé mon indic Fred à se
taire.
.
« Je
n'arrive pas à me connecter sur Sconet pour consulter les notes de
mon garçon, qu'elle me lance, au mépris de la concordance des
temps narratifs, de derrière ses lunettes fumées à la Audrey
Hepburn (mais francisée, elle aussi, en Ginette Tartempois - avec un
reste de mortadelle dans ses cheveux en solde, histoire de compléter
la panoplie). Je pense que mon ex-mari conspire avec l'académie
pour m'en retirer la garde et que cela fait partie de leurs
manigances pour me pousser à la faute ».
Mon
sang ne fait qu’un tour, et le scotch avec lui.
« Vous
avez essayé le bon identifiant ? », je lui réponds, en
professionnel rodé à l’exercice.
Elle
me fixe longuement. Très longuement. Avec les mêmes yeux
(irrésistibles) que la maman de Bambi sur l'étal de la boucherie
les Trois Cèdres.
Et là je sens mon cœur qui chavire (je ne tiens pas le scotch. ça aide) (en même temps, allez trouver encore du bon jus de Patafix, par les temps qui courent…).
Sur
le moment, c’est la totale : les étincelles, les
papillonnements dans le ventre (foutu tacos de la veille, je
savais bien que ces moumousses vertes n’étaient pas catholiques),
comme une connexion silencieuse entre elle et moi… mon instinct me
souffle à l’oreille que quelque chose pourrait se passer entre
nous. Dans mon esprit, déjà, je vois un week-end à Walibi avec sa
marmaille, un diner en tête-à-tête au Buffalo Grill de Melun, avec
salade de chou rouge à volonté. L'espace d'un instant, une part de
moi est tentée, celle qui n'a aucun amour-propre - ou au contraire,
celle qui se dit que ça ferait toujours un soir de moins devant
Hanouna.
Mais
Michel Marteau est un privé de la vieille école, et le Collège
Jean Roucas est un des plus récent de la région (il a été taillé
en 1922 dans des blocs d'amiante véritable). ça ne pourra donc pas
le faire. Aussi, je reste coi, et digne, et suant à grosses gouttes,
et je la laisse s'éloigner sans un merci ni un au revoir (c’est
pas l’genre de métier qu’on fait pour ça, de toutes façons),
sans la rappeler, pour ne pas gâcher la magie de l'instant.
Elle
n'a pas autant d’états d’âme.
« Dites,
fait-elle du bout de ses lèvres en plastique playmobile, piétinant
allègrement ladite magie de l’instant, vous pourriez aussi me
sortir des certificats de scolarité ? Je ne sais plus où j'ai rangé
les miens. Je pense qu’on me les a volé et que c’est une
conspiration de mon mari avec l’académie pour mettre le bazar dans
mes affaires et cacher mes clés de voiture ».
Je
me suis resservi un verre de scotch.
Et j'y ai ajouté un nuage de blanco.
La nuit, je le pressentais, allait être à l'image de la semaine prochaine, dont le planning aux couleurs délavées traîne sur un coin de mon bureau comme une pièce jointe à un mail administratif : longue.
TRES longue.
Vous souhaitant un week-end au diapason,
Bien cordialement,
--
Le
secrétaire de direction
Commentaires
Enregistrer un commentaire