Où le chef s'en va après quatre ans de bons et loyaux services, pour un lycée hotelier plein de nourriture de luxe, et où on ne le laissera pas partir sans un discours, même si on aime autant prendre la parole en public que se cogner les orteils dans le coin de la porte à cinq heures du matin.
Monsieur le Principal,
C’est la fin de l’année, on va se parler franchement, d’homme à homme et tant pis si je prends un blâme, il faut que ça sorte.
Je vous en veux. Vraiment.
Je vous en veux de vous en aller, déjà. Parce que les bons chefs d’établissement sont une denrée rare, et les excellents chefs d’établissement, une légende urbaine. Raison pour laquelle on n’en parle que sur les sites dédiés au paranormal, où on les confond fréquemment avec le Yéti et le Monstre du Loch Ness.
Je vous en veux aussi parce qu’on y était presque, ça s’est joué à ça. On s’était presque débarrassé de toutes ces bonnes femmes à l’administration, pour faire un bureau 100% testostérone dans lequel on aurait pu passer nos journées à parler de foot, à boire des bières, à roter et à faire des blagues misogynes. La vie, quoi. Alors que là, à cause de vous, ça va être reparti à parler chiffon popote. J’ai déjà commandé un camion de boules Quies.
Je vous en veux parce que du coup, moi, je suis obligé de faire un discours, parce que quand même ça a été un vrai plaisir de travaill… faire semblant de travailler à vos côtés, et de pouvoir apprécier au quotidien votre professionnalisme, votre réactivité et votre humour ravageur, même si j’ai vite appris aussi qu’il y avait des moments où il ne fallait pas rigoler DU TOUT, la faute à ces foutus professeurs qui vous mettaient en rogne. Honte sur vous, tous ! Mais je vous en veux quand même moins qu’à votre prédécessrice parce que j’avais dû mettre une perruque blonde et les talons hauts de Mme Moulin et j’ai encore les pieds qui saignent.
Vous êtes quelqu’un de très secret, impossible d’obtenir le moindre renseignement à votre sujet, même en demandant à la personne censée vous connaître le mieux, à savoir : Google. Alors je suis allé sur Wikipedia et j’ai pris la biographie de Snoop Dog à la place. Vous êtes donc né, arrêtez-moi si je me trompe, le 20 octobre 1970 à Long Beach, en Californie. À l'école, vous êtes « bon élève » et plutôt « discret », d'après vos professeurs. Vous rejoignez l’équipe de basket du lycée qui vous aide à sortir de votre coquille. Malheureusement, peu de temps après avoir obtenu votre diplôme, vous avez de fréquents ennuis avec la justice du fait de vos connexions avec un gang local, surveillé par le FBI et la CIA. Pendant les trois années qui suivent, vous êtes régulièrement emprisonné et vous trouvez un sens à votre vie en vous réfugiant dans le rap. Après quoi vous êtes entré dans un autre gang surveillé par la CIA, l’Education Nationale, au sein duquel nous nous sommes rencontrés il y a quinze ans de ça, au collège de Chabroux, dans des circonstances cocasses puisqu’un élève s’était auto-poignardé la main sous ma surveillance (en tout cas, on n’a jamais pu prouver que c’était moi) et vous aviez eu la lourde charge de me faire remplir correctement la déclaration d’accident. Ça avait pris six semaines. Vous aviez vu alors en moi un potentiel certain pour tout, sauf le travail en milieu scolaire, et vous aviez raison puisque je suis maintenant secrétaire de direction, ce qui n’a effectivement rien à voir. Après ça, vous avez fait des trucs ailleurs, plein, mais c’est votre vie privée, c’est vous que ça regarde. Puis vous arrivez à Jean Roucas, où vous avez bénéficié des trois meilleurs secrétariats du monde. D’abord, Pamela et moi : l’atout charme. Ensuite, Arale et moi : l’atout geek. Et enfin, Rémi et moi, sans conteste le plus beau couple de tout le ministère, juste derrière Jean-Michel et BFMTV. Ne niez pas, nous vous manquerons. Au fil du temps, à notre contact, vous avez appris de nouvelles choses, vous vous êtes ouvert à d’autres horizons. En nous écoutant, jour après jour, votre culture personnelle n’a eu de cesse de s’enrichir. Et pour être sûr que vous avez bien tout retenu, pour conclure, je vous propose un petit quizz sans trop d’enjeu : une seule réponse juste et on vous laisse partir. Par contre, si vous n’en avez pas, vous êtes obligé de rester. Vous avez le droit de vous faire aider.
Sur la base de nos discussions quotidiennes avec Rémi, donc :
L’adversaire le plus difficile à vaincre du jeu vidéo Elden Ring s’appelle :
Godrick le greffé
Malenia, la lame de Miquela.
Radhann, le Fléau des Etoiles
Ou
Jean-Michel Blanqueros, le rejeton des ténèbres.
Quel personnage ne meurt pas dans la dernière saison de Stranger Things :
Eddie le rôliste
Fred le journaliste
Jason le basketteur
Ou
Vecna le sorcier démoniaque
De quelle actrice Rémi avait-il la photo en grand affichée dans un coin de son bureau ?
Kristin Kreuk, de Smallville, parce qu’il aime les petites brunes au regard innocent et parce qu’il est notre Superman à nous.
Claude, de la Flamme, parce qu’il aime les femmes d’expériences et parce que l’âge, c’est dans la tête, et les dents dans le verre sur la table de nuit.
Nathalie Portman, de Léon, parce qu’il a été ado dans les années 90.
Alice Sapritch, de la Folie des Grandeurs, parce qu’il ne sort qu’avec des grands classiques.
Et enfin, dernière chance. Et cette fois pas de choix multiple, c’est quitte ou double :
Comment s’appelle ma ministre de l’éducation nationale préférée ?
Ha zut, on y était presque, ça s’est joué à peu !
Bon, on va devoir vous laisser partir, alors, mais à contre-cœur. Avouez que ça va vous manquer, de nous entendre débattre de quelle arme est la plus efficace contre les sorts de putréfaction écarlate. Vous, en tout cas, vous allez nous manquer. Dans une autre vie dont tout rapport hiérarchique aurait été expurgé, j’aurais été ravi de vous compter au nombre de mes amis, et je suis sûr que mon coloc de bureau également. Aussi, restez-vous-même, ne changez rien.
Ou si, quand même un truc : mettez-vous aux jeux vidéo.
Et allez-y mollo sur le homard.
Commentaires
Enregistrer un commentaire