Où les mouvements sociaux se suivent et ne se ressemblent pas.
Bonsoir à tous, bande de lâcheurs.
Vous savez quoi ? Je vous ai attendu, mardi. Seul. Au milieu de
la voie express. Mais vous n'êtes pas venus. Personne. Et j'ai de la
chance de ne m'en tirer qu'avec quelques fractures, ont dit les
chirurgiens de l'OCP, qui se sont très bien occupé de moi.
Vous m'aviez vanté l'ambiance et la camaraderie de la
manifestation de jeudi dernier, les danses, les chants, la fumée
blanche qui pique les yeux, ça m'a donné envie de participer moi
aussi, je n'aime pas me sentir mis à l'écart, alors mardi, je me
suis dit, cette fois, c'est décidé, je serai de l'autre côté de la
barrière !
Barrière que j'ai donc enjambée le jour dit pour aller vous
attendre au milieu de la voie centrale, avec une pancarte de ma
confection sur laquelle on pouvait lire une formule choc et qui a
fait ses preuves : "Jospin, si tu savais, ta réforme, ta
réforme, ..." (je n'avais hélas plus la place pour écrire la
suite, pourtant politiquement très engagée). Suite à quoi j'ai
essayé de bloquer les trois voies à moi tout seul mais en dépit de
mon bel embonpoint, ça s'est avéré compliqué, je ne faisais pas
peur aux automobilistes, ils arrivaient trop vite pour voir les
traits de mon visage (forcément, aussi, à 150, on ne fait plus la
différence entre moi et Leonardo Di Caprio. Alors qu'à une vitesse
normale, on me confond toujours avec Leonardo, certes, mais celui
des Tortues Ninjas).
Le temps passant, l'ennui s'insinuait en moi aussi sûrement que
l'envie d'acheter une décapotable quand je regarde les pubs Chanel
à la télé, aussi ai-je décidé de commencer les activités festives
en
solo (ce qui est un peu l'histoire de ma vie depuis mon cinquième
anniversaire, quand j'ai invité tous mes camarades de classe à ma
fête et qu'ils ont tous préféré prendre rendez-vous chez le
dentiste au même moment, pour se faire enlever toutes les dents et
la mâchoire avec). Sans complexe, j'ai bougé mon winter body
(c'est-à-dire un summer body mais avec beaucoup de raclettes), des
fois que ça vous ferait venir plus vite. Après quoi il y a eu des
hurlements, des sanglots, des bruits d'hélicoptères, j'ai dû
courir je crois. Dix mètres. Mon maximum. L'adrénaline, sans
doute.
Soi disant que je dansais le jerk. Sur de la musique pop. Et que
c'était interdit par le Tribunal de la Haye depuis 1998.
Soi disant aussi que je dansais nu. Et peut-être que dans l'euphorie du moment, oui, je me suis laissé emporté et j'ai tombé le jean, d'accord, on a tous déjà vécu ça un jour ou l'autre, en boîte ou au rayon légumes du Casino parce qu'ils passaient du Shakira, c'est le genre de choses qui arrivent même aux meilleurs.
Et j'ai bien entendu les klaxons des voitures, les cris, les
sirènes, je croyais que c'était pour m'encourager, un mouvement
spontané de liesse populaire, mais a priori, non, c'était
de l'effroi, du dégoût, doublés d'une forme rare mais virulente
d'allergie oculaire. On a même retrouvé un militaire roulé en
boule chez lui trois jours plus tard, à demi noyé dans ses propres
larmes. Et pourtant, il avait fait le Vietnam. Avec Costa
Croisière. La moitié en bateau, l'autre moitié à la nage, comme
stipulé dans le contrat.
En découvrant les images de ma prestation, ceux de la majorité
présidentielle qui n'ont pas perdu connaissance auraient aussitôt
décidé de revenir sur leur décision, à la condition que je me
rhabille et que je n'enlève plus jamais mes vêtements de ma vie,
même si je fais un jour les Anges de la Téléréalité ; à tel point
qu'ils étaient mêmes prêts à utiliser le 98.6 pour officialiser le
tout (soit un double 49.3, c'est vous dire si c'est fort ! Et j'ai
fait le calcul de tête, attention, ce qui prouve bien que je suis
le secrétaire de direction, et pas un de vos élèves qui aurait
hacké ce compte). Hélas, je n'ai pu accéder à leur requête, le
vent avait emporté mon tee-shirt, et mon caleçon Dragon Ball Z
(avec Vegeta en super guerrier de l'espace dessus, le
sous-vêtement des vrais mecs) avait fini sur le casque d'un biker
de passage qui déclarera par la suite : "j'ai vu l'Abîme". Avant
de se convertir au Catholicisme.
J'ai donc fini en garde à vue. Sans vraiment que ça ne me dérange
outre mesure, d'ailleurs, ça ne m'a pas beaucoup changé du boulot,
les barreaux étaient les mêmes que dans ma tête, en plus rouillés,
et la cellule était mieux isolée. J'avais droit à un coup de
téléphone, j'ai demandé le 50/50 à la place, on m'a relâché dans
la foulée parce que j'étais fou (une tradition, paraît-il, dans
notre beau pays).
Et là je viens d'apprendre que je serais aussi en poster central
dans le prochain numéro de Mad Movies (qui sera vendu sous blister
par mesure de prudence, et uniquement au plus de 40 ans sur
présentation de leur historique psychiatrique vierge, c'est à dire
que moi-même je ne pourrais pas l'acheter). Une grande fierté pour
mes parents.
De cette mésaventure, je retiens qu'on ne peut vraiment pas
compter sur vous, que quand il s'agit de s'amuser sans moi, ça,
y'a du monde, mais que quand je veux me joindre à la fête, tout à
coup, la révolution, ça n'intéresse plus personne (COMME PAR
HASARD). Je note également qu'il faut que je mette mes références
musicales à jour. La prochaine fois, ce sera Gangnam Style. Ce
sera mon hommage à moi aux danses traditionnelles du Pays Basque.
Dans l'attente, je vous transmets ci-joint le planning de la semaine prochaine, et je vais de ce pas remettre mon jean : il est temps de rentrer chez moi.
Vous souhaitant un bon week-end,
Bien cordialement,
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