Où l'envie n'est toujours pas là, ni trop le sourire, mais où on ne peut pas s'empêcher de revenir (trop brièvement, et avec la tête dans le chou) sur cette histoire cocasse de "quart d'heure de lecture national"...
Bonsoir à tous,
J'avais initialement prévu de rédiger un mot d'accompagnement
cette semaine encore mais je me suis dit qu'après le quart d'heure
lecture de ce matin, ça risquait de faire beaucoup.
Non parce qu'un quart d'heure de lecture par an, on pourrait
croire que ce n'est pas énorme mais si on ouvre un "50
nuances de Grey" ou un "Twilight", on réalise qu'un
quart d'heure, dans certains contextes, c'est long.
Ceux qui sont déjà allé écouter Maître Gims en concert en savent
quelque chose - même s'ils ne sont plus en état de témoigner (comme tous
ceux qui ont un jour attaqué ledit Maître Gims en justice, du reste).
Dans certains pays, d'ailleurs, on a remplacé les peines de
prison par des livres de Stéphanie Meyer ou de Jupiter Phaeton. La
plupart des condamnés finissent en larmes avant le deuxième tome,
et pas parce qu'ils sont émus par l'histoire ou parce qu'ils ont
leur conscience qui les travaille (ce que ne fera jamais la
conscience d'un fonctionnaire, notez-le), mais parce qu'ils
regrettent amèrement le moment où on leur a appris à lire.
Alors tenter de réhabiliter la lecture, oui, pourquoi pas, dans l'idée, ça part d'un bon sentiment, mais dans les faits, est-ce bien souhaitable, quand on voit ce que le livre grand public a dorénavant à "offrir" (moyennant 15 à 30 euros, quand même, dont le dixième reviendra à ce gros gourmand d'auteur) ?
Car le monde moderne semble s'obstiner à confondre "promotion
du livre" et "livre en promotion", c'est dans l'air
d'un temps qui en manque cruellement, la quantité étant la qualité
de ceux qui ne savent plus faire (ou de ceux qui savent faire,
mais uniquement de l'argent).
Aujourd'hui, en France, on écrit plus qu'on ne lit, nous dit-on,
ce qui explique sans doute pourquoi on écrit tellement mal parce
qu'avant de prétendre pouvoir écrire, il faut d'abord lire,
énormément, et pas que des bouquins avec des messieurs torses nus
tout en abdominaux en couverture, rédigés au présent de narration
et à la première personne du singulier, des fois qu'un petit passé
simple ou une figure de style pourrait vous coller la migraine.
Sur le temps qu'il fallait jadis à Stendhal pour écrire une seule phrase (c'est-à-dire celui qu'il faut aujourd'hui à vos élèves pour vous ramener un document "à rendre pour la fin de semaine"), un auteur professionnel peut écrire aujourd'hui trois ou quatre romans d'affilée (truffés de répétitions, de lourdeurs et de fautes "mé cé listoir (é lé paiktorau) ki kompte"), et un lecteur peut en lire jusqu'à soixante douze à la chaîne (bon, ça ne compte pas vraiment car c'est soixante douze fois le même, avec juste les prénoms des personnages qui changent et la taille de leurs pectoraux sur la couverture). Des belles héroïnes fortes et fragiles à la fois, un mystérieux destin secret, un triangle amoureux avec un beau rebelle taciturne (si possible, un loup garou ou un chef d'entreprise ou le secrétaire élève d'un collège de province) et un moins-beau-mais-beau-quand-même-parce-que-seuls-les-beaux-ont-le-droit-à-l'amour-faut-pas-pousser-on-veut-bien-être-tolérants-et-avoir-des-sensitivity-readers-mais-il-y-a-des-limites-à-la-bienveillance plus gentil et aimable et qui fait bien la cuisine (si possible un vampire, ou un courtier en bourse ou Robert Downey Junior). La collection Harlequin (champiiiiion de l'amooooouuuuur) qu'on lisait jadis en cachette (ou mieux : qu'on ne lisait pas) est devenue la norme sur les étagères de nos librairies, ce qui tend à suggérer qu'on devrait peut-être en finir une bonne fois pour toute avec les livres, tant qu'il leur reste encore une once de dignité.
On lit aujourd'hui pour se "vider la tête", et qu'est-ce
que c'est triste à entendre, quand on y pense, considérant
qu'hier, on lisait pour se la remplir. Car c'est sans doute l'un
des maux de ce siècle, finalement : ne pas trouver de temps pour
lire, quand on en n'a socialement jamais eu autant à disposition.
Non seulement ça mais quand miraculeusement, on le trouve, ce
temps, on va choisir des oeuvres qui nous demanderont le moins
d'effort, d'imagination, d'identification, de compréhension,
qu'importe, nous resterons dans notre zone de confort au prétexte
que "nous avons déjà bien assez de choses en tête comme ça".
Si nos têtes sont trop pleines, au point que nous ne soyons plus
capables de tolérer que le plus superficiel des divertissements
(et c'est un lecteur de manga qui dit ça !), peut-être serait-il
temps de nous interroger sur ce que nous laissons y entrer, dans
nos fichues caboches, et nous efforcer d'y faire un peu le ménage
avant d'installer un bureau de douane à la frontière entre le
monde et nous. On nous remplit de vide, pour nous vider de plein.
A tel point qu'en 2023, on a besoin de fixer un quart d'heure
lecture à l'échelle nationale destiné aux jeunes autant qu'aux
adultes. Si ça, ça ne vous fiche pas les jetons, je ne sais pas ce
qu'il vous faut. Moi j'ai vu tous les Aliens et pourtant, je suis
terrorisé.
Alors ma foi, s'il ne devait y avoir qu'un seul bouquin à lire en
cette journée placée sous le signe des mots qui font grandir, ce
serait Momo ou l'étrange histoire des voleurs de temps et de
l'enfant qui rendit aux gens le temps qui leur avait été volé de
Mickael Ende (l'auteur de ce monument intemporel qu'est l'Histoire
sans Fin, qu'aucune oeuvre de littérature jeunesse ne saura
jamais égaler parce que subversif pour de vrai), lequel raconte de
façon tragiquement prémonitoire ce que le monde a fait de nous en
quelques décennies, par l'intermédiaire des nouvelles
technologies, sans que nous jugions bon de résister en rien
et, bien trop souvent, avec notre bénédiction. Mais il n'y a pas de
pectoraux en couverture, c'est un livre pour enfants. Vous êtes prévenus.
Le semainier, lui, fera quelques squats cette semaine histoire de
se rendre littérairement présentable mais dans l'attente, il sera
cette fois tout ce qu'il y a de plus classique, façon la Pleïade,
Bien cordialement,
Oh mon dieu, j'ai mis au moins cinq secondes à comprendre "paiktorau" ! Mine de rien, c'est une longue durée, cinq secondes... En la multipliant par 10800 on atteint tout de même un quart d'heure de lecture !
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