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LAST (re)ACTION(naire) HERO

Où malgré la grise mine, l'absence d'envie et les idées noires, on se laisse souffler par l'actu le message (bien réac') du semainier du jour, façon chronique radio. Âmes sensibles s'abstenir.

 

Bonsoir à tous,


Mauvaise (?) nouvelle : après plusieurs semaines d'abstinence, j'étais parti pour écrire un mot d'accompagnement et puis je me suis ravisé.

Non parce qu'écrire, en 2023, c'est devenu beaucoup trop dangereux. Il n'y a qu'à voir encore la polémique récente autour des livres pour enfants de Roald Dahl, qu'il a fallu réécrire outre-manche pour en supprimer les mots de vocabulaire les plus oppressifs tels que "gros" (trop stigmatisant), "ciel" (trop stigmatisant envers ceux qui craignent qu'il ne leur tombe sur la tête), "charrette" (trop stigmatisant envers ceux qui manquent de vocabulaire) ou "caniche" (trop stigmatisant envers ceux qui se sont déjà fait mordre par une moumoutte vivante). Ainsi l'ouvrage "Sacrées sorcières" sera-t-il vraisemblablement rebaptisé "Sacrées adeptes du paganisme", et "James et la Grosse Pèche"deviendra "James et le fruit gluten free de chez Monsanto à 3,99 euros le kilo chez Liddle prix maximum conseillé sous réserve de stocks disponibles". Ceci, grâce aux interventions d'un tout nouveau corps de métier, dans l'ère d'un temps que les plus de trente ans ne peuvent pas saquer : le sensitivity reader, ou en français "lecteur en sensiblerie" ("sensibilité", pardon, ma fourche a langué), chargé de veiller à ce que les ouvrages majeurs d'avant l'internet (le Club des Cinq et la cité engloutie, le Club des Cinq contre les faux monnayeurs, ...) soient tous expurgés de leur obscurantisme civilisationnel. Car comme chacun sait, le monde civilisé commence en l'an 0 du calendrier Twitterien, lequel a inventé pêle-mêle le féminisme, la tolérance, l'anti-racisme et la lutte contre les discriminations (à coups de clics, de likes et de selfies, à chacun sa méthode, s'engager dans des associations c'est so 1990). Avant ça, il n'y avait que des beauf' et des dinosaures, selon les youtubers, qui ne voient pas bien lieu de faire la distinction et appellent les deux des "boomers".

Et comme personne n'est semble-t-il à l'abri du zèle de ces censeurs "pour le bien commun" ("Matin Brun", vous vous souvenez ? Si vous ne l'avez pas lu, ça tombe bien, vendredi prochain, il y a quart d'heure lecture, ça devrait s'y caser pile poil), je préfère jeter l'éponge, on ne sait jamais, des fois qu'un jour j'écrirais par inadvertance quelque chose d'inadmissible comme "GROSSE semaine à l'horizon !", ou "sur l'écran NOIR de vos nuits BLANCHES...", et où je me mettrais la moitié du monde à dos et l'autre moitié sur la ceinture abdominale, déjà bien encombrée - ou qu'on m'accuserait de stigmatiser la communauté ardéchoise juste parce que, soi-disant, chaque semaine je la traite d'inculte et d'arriérée alors que bon, je n'y suis pour rien, moi, elle se stigmatise toute seule avec ses châtaignes dans les arbres et ses tracteurs en bois.

En moins de temps qu'il faut pour ouvrir un Harry Potter (du moins, aussi longtemps qu'on n'aura pas retiré les droits du livre à son autrice, mais c'est en cours), je risquerais de me retrouver humilié, insulté, harcelé sur Twitter par les gentils internautes d'extrême gauche, ou "woke" (à ne pas confondre avec les méchants internautes d'extrême-droite, ou "faf", qui humilient, insultent, harcèlent aussi les gens sur Twitter, mais qui sont méchants, eux) (la différence est très subtile, c'est un peu comme les bons et les mauvais chasseurs de dans le temps... on a le droit d'être méchant si on est gentil, mais pas d'être gentil si on est méchant, c'est très complexe). Et voilà que je me retrouverais lapidé sur la place publique, mais avec bienveillance, c'est-à-dire que si Jésus avait été crucifié en 2023, on lui aurait mis un petit coussin de plumes d'oies derrière la tête pour ne pas qu'il ait trop mal et on lui aurait offert un smoothie de bienvenue. Mangue goyave, c'est bon pour le bronzage. Voire on ne l'aurait pas crucifié du tout parce qu'en 2023, allez trouver quelqu'un qui accepte encore de bosser pour l'armée romaine ! "C'est mal payé, vaut mieux être mercenaire", "c'est pas trente-cinq heures", "on est quarante dans le logement de fonction", "il faut se lever avant dix heures du matin", "il n'y a pas de bar à céréales dans le réfectoire de la garnison"... Le jeune Jean-Dylan est formel : "moi je préfère faire jongleur de rue et de toute façon c'est la faute des boomers (tm) si le monde il est foutu".

Et voilà ! Je digresse, je digresse et si ça se trouve, même là, j'ai offensé trois catholiques, deux ados et six centurions romains (pardon). Ah non mais vrai, sur ce coup, je suis comme Bernard : j'avance en terrain miné. Il faut dire que depuis quelques années, la principale valeur marchande sur internet, ce n'est plus le porno, ni les vidéos de chatons mignons, mais l'indignation : on a compris que ça marchait alors on vous la revend par paquets de douze à coups d'articles racoleurs et de pétitions avaaz ou change.org (pour une signée, on vous invite à en signer cinq autres et à créer la vôtre, c'est quand même bien urbain de la part du site, qui touche l'argent des pubs à chaque connexion mais ce n'est que très secondaire, hum), de polémiques artificielles, préfabriquées, de sophismes maladroits, de totologies (la tautologie, mais niveau blague de Toto), de biais de représentations hérités tout droit de gourous d'amérique du nord qui ont trouvé le bon filon : le mariage d'amour entre la bêtise humaine et notre narcissisme forcené. Insérer la marche nuptiale ici, et tant pis pour le vivre ensemble.

D'ailleurs quand on y réfléchit, pourquoi est-ce qu'on dit "un semainier", alors qu'on dit "une semaine", hein ? Je vous le donne en mille : pour faire la promotion de la société phallocrate patriarcale blanche, pardi (ma grande passion dans la viue, avec le macramé) !

Bref.

Alors quand même, une lueur d'espoir dans tout ce marasme : on envisage d'interdire définitivement la plateforme Tik Tok et ce serait un bon début. On ne se méfiera jamais assez d'un réseau social appelé "Trouble Involontaire Compulsif - Trouble Obsessionnel Compulsif" (jamais réseau social n'aura porté son nom avec tant d'honnêteté). Quelqu'un de tic toc, dans les années 80, c'était quelqu'un de complètement cinglé (pardon, je veux dire : neuroatypique), ou le nom d'un robot moustachu dans un film pour enfants où des punks en rollers passaient tout le métrage à poursuivre un poulet qui parle pour le bouffer (Return to Oz, 1985, je l'avais vu au cinéma, ça explique bien des choses).

Pour toutes ces raisons, j'ai décidé d'arrêter définitivement d'écrire tant qu'on n'aura pas interdit la totalité des réseaux sociaux, et internet avec, car ce serait courir trop de risques : moi-même, à dix mètres dans la pénombre, on pourrait me prendre aisément pour un poulet qui parle, j'ai les mêmes mollets.

Le bon côté de cette histoire (parce qu'il en faut bien un. Comme le chantaient les Monty Python, que les sensitivity readers devraient clouer au pilori d'ici deux ou trois ans : "aaaalwaaaaays look on the briiiiight siiiiiide of liiiiife"), c'est que ça fera du travail pour ceux de vos élèves qui chouinent pour un rien, passent leur temps à protester ou à contester la parole de l'adulte et se plaignent H24 dès qu'on leur demande de faire quelque chose "parce qu'on n'a pas le droit". Autant de futurs sensitivity readers. Ils sont déjà surqualifiés en la matière.

De fait, l'expression "il n'y a pas de sot métier" a été supprimée de l'encyclopédie, puisqu'elle n'a plus lieu d'être.

C'est tout pour moi, donc, je prends congé sur un avertissement.

ATTENTION : le fichier joint comporte le planning de la semaine prochaine.

Vous êtes prévenus.

Vous souhaitant deux jours agréables dans le respect de la personne humaine (pour ceux qui ne croient pas aux week-ends parce que week-end, c'est américain et que "c'est de leur faute si McDonalds", et pour qui le "bon" est trop réducteur puisque manichéen, et donc binaire, et donc rétrograde),

Bien cordialement mais sans familiarité aucune, car je respecte votre espace d'intimité morale,

-- 
 
Le secrétaire de direction

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