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Sexist and the City

 Où l'on se saisit d'une confusion ordinaire pour aborder les sujets qui fâchent, histoire de prouver qu'on peut rire de tout si on y met les formes. 


Bonjour à tous,

Cette semaine encore, et bien que nous ne soyons par vendredi, je ne vous ferai pas grâce de mon vocabulaire daté et de mes morigénations quant à l'état du monde ("seconde main, très peu servi", lirait-on sur Vinted, avant de devoir ouvrir un litige paypal  pour cause de malfaçon). Si chaque seconde qui passe est une occasion de rendre le monde meilleur (ou plus vraisemblablement : de perdre son temps sur Snapchat à poster des photos de nourriture - ou de soi-même, qui est une forme de nourriture à part entière, mais plus narcissique qu'un oeuf à la coque et destinée à un public moins regardant), chaque semainier ci-joint est une occasion de vous rappeler combien la société a encore des progrès à faire pour mériter l'épithète de "civilisée", et combien  l'homo va encore devoir trimer pour mériter l'épithète de "sapiens" (tout le monde a eu très peur l’espace d'un centième de seconde, ne mentez pas).

C'est l'avantage quand on est du côté de ceux qui distribuent les étiquettes, d'ailleurs : on peut garder les plus flatteuses pour soi. Il suffit de compter sur les réseaux sociaux le nombre d'hypersensibles, d'empathes, de surdoués, d'introvertis, d'éveillés, d'INTJ, d'enfants Indigo, d'autistes asperger pâtissiers-magiciens-cowboy-ninja auto-diagnostiqués qui déroulent à longueur de posts leurs CV émotionnels couleur Calinours, sur les pages du genre "si toi aussi tu saignes au dedans de toi-même quand un enfant il pleure mais que tu ne sais pas traiter les téléopérateurs comme des êtres humains", "tous ensemble unis contre ceux qui ne sont pas unis avec nous", ou "la page de ceux qui ont raison parce que moi j'ai raison et qu'eux ils pensent comme moi", bref, des gens bien, et voir dans la vraie vie comment les mêmes se roulent par terre parce que leur steak soi-disant bleu n'est pas de sang royal, ou parce qu'un colis leur a été livré en plus de 24 heures, quand bien même fût-ce un dimanche en début de soirée par un individu en situation irrégulière payé un tiers de Smic. Alors qu'à l'opposé (et je vous invite vivement à tenter l'expérience), si vous demandez autour de vous qui sait que l'être humain est un animal, vous susciterez l'hilarité, la perplexité, voire la colère de vos interlocuteurs, lesquels se demanderont si vous n'avez pas perdu la raison et s'ils ne pourraient pas vous ramener dans le droit chemin à coups de bottes (méthode Freinet homologuée ; libre interprétation de la mention "apprendre par tâtonnements"). Non parce que la hiérarchisation des espèces par l'humanité, c'est un peu comme si le Président du Jury à Cannes se décernait systématiquement la Palme d'Or, avec ses propres félicitations, ou comme ces comiques insupportables qui rient à leurs propres blagues des fois que ça pourrait faire boule de neige et leur éviter Pôle Emploi. Ou tenez, pour contextualiser, c'est un peu comme si on laissait nos élèves se noter eux-mêmes, tout au long de l'année : la moyenne basse serait de 20/20, et ça pourrait monter jusqu'à 60 selon les cas.  

Mais je digresse, ce qui ne surprendra personne (faites quand même semblant pour ne pas me froisser, car la génétique a voulu que je supporte très mal le fer à repasser).

Je souhaitais aujourd'hui attirer votre attention sur le fait qu'on est en 2023 et qu'en dépit de tous les efforts de Netflix en faveur de l'égalité hommes-femmes (ils ont remplacé Little Nemo par une fillette, le monde est sauvé, hourra !), le sexisme ordinaire a encore de beaux jours devant lui, et sans doute est-ce pour cette raison qu'on le trouve souvent en terrasse autour d'un Ricard. Tenez, moi, par exemple, quand je réponds au téléphone, on me prend tantôt pour un chef d'établissement, tantôt pour George Clooney, et la plupart des êtres vivants éprouvent une irrépressible envie de m'inviter à prendre un café. Ce qu'ils regrettent ensuite lorsqu'ils me rencontrent et découvrent, un brin mari (parfois même : maris à tout prix) que je suis plus George que Clooney, selon la formule consacrée. Alors que quand j'envoie un mail en tant que secrétaire, il m'arrive souvent d'être appelé "madame" par ceux-là même que j'ai eu au téléphone cinq minutes avant, comme quoi pour paraphraser Ken le Survivant : "certains clichés comme les oeufs sont durs". 

Mais j'évite de m'en formaliser. Sans doute ces individus suggèrent-ils que mon travail semble trop méticuleux pour être celui d'un homme, et qu'ils ont tellement foi en mes capacités qu'ils me confieraient sans hésiter ce qu'ils ont de plus cher : leurs enfants, leur cuisine et leur ménage. Ce qui me flatte au-delà de toute mesure mais serait une monumentale erreur.

- Alors, Monsieur le Secrétaire, comment s'est passé votre première matinée ?

- Très bien. J'ai décongelé le petit Maxime au micro-onde et déposé la blanquette de veau à la crèche.

Alors bien sûr, nous sommes au XXIème siècle, être "hommes" ou "femmes", c'est dépassé,  moi par exemple à l'intérieur je me sens "Godzilla" : depuis tout jeune, comme toutes les personnes mentalement équilibrées dignes de ce nom, j'ai une irrépressible envie de ravager des centres villes à coups de pattes et de cracher du feu sur des hélicoptères, c'est mon droit le plus strict, même si c'est un peu compliqué à faire comprendre aux forces de l'ordre quand ils me surprennent dans les rues piétonnes en train de donner des petits coups de pieds dans la Maison des Têtes, et que je leur réponds très finement "GOUUUUAAAARGHHHH !!!!", mais bon, voilà, je suis né homme mais si je voulais, je pourrais être une femme, au moins sur le papier parce que ce n'est pas avec un salaire de catégorie C que je pourrais m'offrir l'opération (comme quoi il est plus facile d'être égal quand on a plein de thunes que quand on n'en a pas). Sans regret, ceci dit, car je n'aurais pas été très crédible en tant que femme : d'accord, je pleure comme une madeleine quand les voitures explosent dans Fast and Furious et oui, je loupe tous mes créneaux, y compris ceux de mon agenda professionnel, mais je suis incapable de faire deux choses à la fois (déjà une seule, dans la Fonction Publique, on ne va pas se mentir, c'est chaud), j'ai l'instinct maternel d'une brique (quand je vois un nourrisson, j'angoisse, j'ai toujours peur qu'il essaie de me voler mes anneaux en or en criant "moooon prééééciiiieuuuux") et je porte très mal le crop top. D'un autre côté, je ne suis guère plus crédible en tant qu'homme, rapport au fait que je n'ai aucun muscle, à part un gros au niveau de la ceinture abdominale qui me sert à amortir les chocs quand je m'endors au milieu du couloir (ce qui arrive souvent). Je n'ai pas d'abonnement à la salle de sport, pas de barbecue, pas de trousse à outils, je suis incapable de planter un clou ailleurs que sur mon doigt et je n'aime pas particulièrement passer la tondeuse (parce que ça dérange les fourmis).  Il y a, dit-on, des mâles alpha. Ceux qu'on appelle les mâles nécessaires. Moi je suis un mâle omega. Je suis biologiquement et socialement facultatif.

Du coup, dans l'attente d'avoir le budget pour me faire greffer des écailles de lézard, des échasses et un appendice caudal de six mètres, je vais m'en tenir à la version de moi la moins onéreuse : celle avec les pièces d'origine. J'attends donc de mes interlocuteurs qu'ils respectent mon choix, contre vents et clichés, et en même temps, je ne peux pas les blâmer de leur méprise : un secrétaire, c'est un meuble. Est-ce que j'ai une tête de meuble ? Non. Ou alors si, un peu, mais en mélaminé, et qui a été cabossé pendant le transport. Je comprends néanmoins que certains se méprennent, d'autant que je touche le même salaire que mes collègues féminines, c'est le souci avec le progressisme, on perd tous nos repères. Ceci étant, je le répète, je ne m'en formalise pas, car je connais la vérité : homme, femme, godzilla, peu importe, au fond, avant toutes choses, je ne suis qu'un animal. Le reste n'est que littérature (et c'est déjà pas mal).

Vous souhaitant un très bon long week-end,

Je vous laisse. Je dois aller chercher la blanquette à la crèche.

On la mangera avec le collier de nouilles qu'elle a réalisé pour la fête des mères.

Et Maxime en entrée, sans doute.

Bien cordialement,

-- 
 
le secrétaire de direction

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