Où la messagerie rectorale a ses raisons que la raison ignore, et où l'on reçoit le semainier posté vendredi samedi à minuit 48. En tant que fonctionnaire, je suis tellement, tellement fier d'elle !
Bonsoir à tous, et bonne réception du planning ci-joint.
Voilà. ça, c'est fait. Pour parler d'autre chose, parce que nous
ne sommes pas là (que) pour ça : vendredi dernier fut une grande
première pour moi, rendez-vous compte. J'ai reçu dans ma boîte académique le courriel
d'une maman qui me prenait à parti, à juste titre,
m'invitant avec une cordialité toute relative à apprendre à faire mon
métier, au prétexte que je ne saurais pas différencier une abaya
d'une jupe-pull ou d'un kimono. Ce qui est vrai, je le confesse,
la mode est un domaine dans laquelle j'ai quelques lacunes, ainsi
que vous pouvez le constater chaque fois que vous me croiser dans
un couloir et que vous vous dites "aïe, non, pitié, mes yeux,
rendez-moi mes yeux !". A vrai dire, j'ignorais jusqu'à il y
a peu l'existence d'au moins deux de ces attributs vestimentaires,
et le troisième me paraissait contextuellement limité aux tatamis
des salles de sport et aux cérémonies du thé des campagnes
japonaises.
Parce qu'un kimono, attention, moi, j'en ai porté un quand
j'avais douze ans, je m'y connais un peu. ça m'allait comme un
gant, d'ailleurs, mais de toilette, celui avec les bouloches et la couture de
côté. Et ça, jusqu'à l'obtention laborieuse de ma ceinture orange, laquelle me permet désormais de
maîtriser physiquement des enfants de six ans ou des adultes d'un
mètre vingt. Le kimono, c'est blanc, c'est rêche, ça gratte, ça
sent la transpi, c'est même pour ça qu'on les confond souvent avec
les bucherons suédois, et il faut un master en mécanique quantique
pour nouer la ceinture correctement. Einstein lui-même a déclaré à
ce sujet : KMN=Mr2. ça veut tout dire. Pas sûr qu'un élève
porterait ça de son plein gré, à moins d'être vraiment à court
d'idées en termes de transgressions sociales. Imaginez un peu.
Claquettes-chaussettes-kimono. L'horreur.
Alors bien sûr, le métier secrétaire administratif est synonyme de polyvalence, il faut n'être
spécialiste en rien mais s'y connaître en tout. Aussi y a-t-il des
domaines d'expertises sur lesquels nous sommes contraints de faire
l'impasse, faute de temps. C'est soit on traite les dossiers de
demandes de bourses, on réimprime à l'infini les certificats de
scolarité, on gère les problèmes de messagerie des parents à la
place des techniciens de chez Thunderbird, soit on regarde M6
Boutique. C'est l'un ou l'autre. En conséquence de quoi serais-je
bien en peine de vous dire qui porte un jean slim taille basse
coupe cintrée à surpiqures slovaques et qui a juste acheté un
pantalon trois tailles trop court, ou bien traverse actuellement une crise de
déni de petit bidou. D'autant qu'à notre décharge, rares sont les
références juridiques des circulaires rectorales à renvoyer au
numéro spécial pulls à motifs Jacquard du dernier Femme Actuelle.
Non seulement ça mais avec notre salaire de catégorie C, deux crop
top chez Babou et c'est les pâtes à l'eau le reste du mois. Mais
je ne suis pas fermé à la possibilité d'un module de formation
Ralph Lauren ou Versace, animé par Cristina Cordula. Tant que
c'est payé avec vos impôts, moi, je suis ouvert à toutes les propositions.
Le problème, par contre, c'est que si vous me laissez deux
semaines entre les mains de ladite Cristina, à mon retour, je vous préviens, je
ne serais plus le même homme (si tant est que j'en sois vraiment
un. Fox Mulder et Dana Scully planchent encore sur la question).
Vous auriez immanquablement droit à une réactualisation de mon
jargon administratif de type :
- Fouyayaye ma chérie mé dou stylo rouge sour ta demande dé coumoul d'activité cé pas très manifayke dou tou, ça, cé administrashion faux pas !
Cette longue parenthèse refermée, dans la suite de son courriel,
cette maman m'accuse également d'avoir puni sa fille de manière
injuste, puisque inculte, du fait de
cette méconnaissance indigne d'un gentleman. Or ayant renoncé à
punir les élèves moi-même aux alentours de 1860, quand on a cessé
de les accrocher aux portes des granges pour éloigner les mauvais
esprits et que ça a perdu tout son fun, j'en ai déduit qu'elle me
prenait pour quelqu'un d'autre et ai été tenté de lui répondre
comme pendant un match de foot entre infirmières d'état, à savoir : de but en blanc. Et puis
le professionnalisme a repris le dessus et j'ai cliqué sur "transférer
au chef d'établissement", mon boulot consistant
essentiellement à trouver quelqu'un dans le collège à qui
refourguer la patate chaude avant de retourner dormir dans le local d'archives. Et heureusement que j'ai eu cette présence d'esprit,
parce qu'il m'aurait fallu non seulement lui donner raison (et ça
c'est contre ma religion), mais
également lui avouer que je ne sais pas non plus différencier sa
fille d'une autre adolescente, voire d'un autre adolescent, tant à
mes yeux ils se ressemblent tous avec leurs cornes et leurs sabots
fourchus.
Après, bon, moi, sur le fond, je suis d'accord, on devrait pouvoir venir au collège habillés comme on veut. Je ne vois pas DU TOUT ce qui pourrait mal tourner, les collégiens étant des modèles de pondération et de maturité dans tous les domaines de la vie, à commencer par celui de la couvrance corporelle. Moi, par exemple, mon rêve, c'est de recevoir les parents en pyjama intégral Pikachu, le pilou-pilou jaune avec des oreilles de hamster, ça aussi ça cache bien les formes, même après s'être enquillé deux tonneaux de 1664, c'est bon pour mes complexes et le bar d'à côté. Et si les parents en question me font la moindre réflexion désobligeante, comme quoi c'est inadmissible de voir ça dans un établissement scolaire, je les accuse de ne pas savoir différencier un Pikachu d'un Raichu ou d'un Taupiqueur, et je leur colle entre les mains un flyer avec les 365 Pokemons de première génération et leurs évolutions, à apprendre pour la semaine prochaine, attention, y'aura interro écrite. Car rappelons que contrairement aux êtres humains, les Pokemons évoluent, eux. De là à sous-entendre que nous ne sommes mêmes pas dignes d'être enfermés dans des balles des plastiques rouge et vigoureusement jetés sur nos adversaires pour les affronter dans des combats d'arène, il n'y a qu'un pas, que je franchirais sans réserve.
S'il y a bien une chose que je sais différencier, par contre, c'est un jour de week-end d'un jour de semaine,
Mon cas n'est donc pas complètement désespéré.
Ouf. J'ai toujours les bases.
Bien cordialement,
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