Où la tragique et révoltante actualité du jour a failli reporter l'écriture du message de la semaine à un moment plus adapté, avant que la révolte ne prenne le dessus sur la tristesse.
Ce soir, comme beaucoup d'autres soirs, au-delà de la colère,
j'ai de la peine pour Dieu, Allah, Yahvé, Jéhovah, Bruce
Springsteen, peu importe de quel nom nous l'avons affublé.
Car comme disait justement Juliette Capulet, qui je le rappelle
n'avait que 14 ans à l'époque des faits (en 2023, avec son niveau
d'alors, Juliette sortirait de l'ENA avec cent ans d'avance et un
master en microchimérisme dans la bulle spéculative du
Franc-Comtois) (pendant ce temps, nos élèves peinent à tracer des
ronds au compas) : "Qu'y a-t-il dans un nom ? Ce
que nous appelons rose, Par n'importe quel autre nom sentirait
aussi bon" (ce qui rejoint peu ou prou le principe
premier de la sémantique générale : "une carte n'est pas le
territoire", et par extension celui de Magritte : "ceci
n'est pas une pipe". C'est dire si on peut être sérieux
quand on a quatorze ans, c'est à dix-sept que ça se gâte d'après Rimbaud).
J'ai de la peine pour Dieu, donc, d'abord parce qu'on lui a fait
le même coup qu'à Khévyne à la naissance : on lui a collé
arbitrairement un prénom Mamoune avec des H et des Y pour faire
tendance, comme un samedi matin dans la queue de l'Etat Civil
entre deux soupirs de consternation de l'employé, sans même
relever deux contradictions de taille : d'abord, un nom est une
entité linguistique qui sert à différencier deux réalités
distinctes du monde. Ce qui implique que revendiquer un nom pour
Dieu, c'est implicitement nier son Unicité. On n'a pas besoin de
Nom si on n'a pas besoin de se différencier de l'Autre. Ensuite,
parce qu'un nom par nature ne peut être que donné, ou reçu, ce qui
implique d'une part l'existence d'une entité qui donne, et de
l'autre l'existence d'une entité qui reçoit. Ce qui, dans le cas
qui nous occupe, implique un "avant Dieu", ainsi qu'un "autre que
Dieu". Alors effectivement, une entité peut se donner un nom à
elle-même, de la même façon que je peux vous dire de m'appeler
Jean-Eudes, mais la portée symbolique n'est pas la même et
l'entité qui s'auto-nomme est consciente de l'arbitraire de sa
démarche, et donc de sa subjectivité, ou alors c'est qu'elle a un
grain, voire toute la cafetière.
Donc déjà, tu as le niveau intellectuel d'une gamine du XVIème (siècle, pas arrondissement, ça se saurait), tu as compris intuitivement ce à côté de quoi passent des millions, voire milliards d'individus adultes éduqués censément en pleine possession de leurs moyens, mais qui ne seraient pas contre entrer en possession des moyens d'autrui : se crêper le chignon au sujet du nom de Dieu, déjà, relève du blasphème, puisque c'est nier son Unicité et sa Totalité.
Mais ce n'est finalement qu'un problème parmi d'autres qui font
que je le plains ce soir du plus profond de ce qui reste des
fragments de mon coeur brisé, bien qu'il n'ait pas daigné faire de
moi un rentier de naissance ni un mutant capable de tirer des
rayons lasers avec les yeux. A sa décharge, quand j'étais enfant,
je lui ai demandé les oreilles des elfes dans le Seigneur des
Anneaux, il m'a exaucé, je le regrette depuis chaque jour qu'Il
fait depuis ma puberté, mais ça ne Lui est pas imputable.
Non, vraiment, le nombre d'horreurs qu'on lui colle sur le dos
sans lui demander son avis, c'est pas Lui-Même possible, quand on
y pense. Rendez-vous compte : dans la liste des êtres nuisibles
responsables de tous les maux de l'humanité, il est classé DEVANT
le Gangnam style et le mâle hétéro-cis genre. Or sachant que si
l'on en croit Internet, le mâle hétéro cis-genre est responsable
de l'ensemble des calamités présentes passées et à venir à
l'échelle du monde entier, voire de l'univers, et a plus forte
raison s'il fait partie de la caste honteuse des boomers (ces
vilains méchants profiteurs qui bénéficiaient du plein emploi à
cinq heures du mat' dans les usines de la sidérurgie), il y a de
quoi se vexer très fort, voire balancer un ou deux éclairs au
hasard juste pour rappeler qui c'est le taulier.
Alors que Lui, au fond, c'est juste un artiste, il avait eu une
idée un peu fofolle, un espèce de bipède qui parle, une sorte de
Pokémon qui évolue tout seul, c'était un prototype d'avant-garde
avec des grosses mains plates au bout des jambes et des pouces
opposables (à défaut de jantes alliage), peut-être juste une
blague entre potes, du genre "attends, hé, même pas cap' !",
le truc qu'on dessine sur un coin de nappe un soir de beuverie (ça
expliquerait pas mal de choses), en théorie il aurait dû se
contenter de grimper aux arbres pour cueillir des papayes et ça
aurait été déjà beau, mais finalement, Il s'est pris d'affection,
Il s'est dit bon, allez, j'y vais à la confiance, après une ou
deux nuées de sauterelles, deux ou trois transformations en
statues de sel histoire de poser des limites (c'est peut-être un
peu radical, mais ça marche un peu mieux que les lignes à
recopier, sans vouloir vous donner des idées), Il a lu Françoise
Dolto, remis ses méthodes éducatives en question et opté pour le
libre arbitre, l'équivalent divin de l'éducation bienveillante,
pour un résultat au moins aussi concluant. Non parce que de vous à
moi, franchement, on se dit que quand même, une ou deux statues de
sel de temps en temps, ça aiderait à recadrer un peu. Et j'avoue,
oui, je ne serais pas contre un cercle de l'Enfer spécial dans
lesquels les gens seraient condamnés à mettre leur cligno pour
l'éternité. Avec autour des démons qui klaxonnent. Le pied (ou
devrais-je dire : la grosse main plate au bout de la jambe).
Mais non. Dieu il nous aime plus que nous l'aimons Lui, et au
moins autant que nous nous aimons nous-mêmes, c'est-à-dire à
l'infini + 1, alors il nous laisse faire parce qu'il pense qu'on
est assez grands. C'est ça le problème avec les parents, ils ont
tendance à idéaliser leur progéniture. Ils les voient avec les
yeux de l'amour. Ce qui implique la clairvoyance d'un mec bourré à
quatre heures du matin quand on prononce les mots Didier et Raoult
dans une même phrase. Sauf que dans les faits, c'est Lui, qui est
grand, comme tout ce qui est imaginaire. Nous, on est tout petits,
même quand on fait plus d'un mètre quatre vingt. On l'est même
davantage à chaque année qui passe, collectivement parlant, tandis
que reculent tristement le civisme, la culture, la maturité, la
créativité, la candeur, l'altruisme, l'empathie (quoi qu'on lise
sur le net), et toutes ces petites choses infimes, mais sublimes,
qui ont fait fût un temps notre grandeur dérisoire, et que nous
avons vraisemblablement troqué contre un smartphone pliable et
l'internet illimité.
Non seulement ça mais vous allez voir, après ce qui s'est passé
aujourd'hui, on va Le rendre responsable, encore, dire "ça
n'arriverait pas s'il n'y avait pas ces s*l*peries de religions
!", "c'est le pire fléau de l'humanité après les punaises de lit
!", parce que c'est bien utile quand même d'avoir un bouc
émissaire à blâmer pour nos insuffisances, surtout lorsqu'il ne
peut pas se défendre et qu'il est passé de mode. Avant ça, c'était
le diable. D'une certaine manière, c'est un peu de bonne guerre.
Alors que clairement, on n'a jamais trop eu besoin de Lui pour se
tirer la bourre, on s'est déjà écharpé pour moins que ça. Des
grosses sphères en cuir souple dans lesquelles on tape pendant une
heure trente, des bouts de papier imprimés qu'on s'échange avec
les yeux vides, des frontières fictives, des regards imaginés.
Enlevez la religion, vous ne réglez pas le problème, vous ne
faites que le déplacer. Cherchez plutôt le dénominateur commun.
Ce soir, j'ai de la peine pour Dieu parce que je n'en ai plus
pour nous. J'ai épuisé mon stock.
Lui au moins, il a des excuses : d'abord, il a fait de son mieux,
ce qui n'est pas notre cas. Ensuite et aux dernière nouvelles, il
n'existe pas, et c'est tout le mal que je lui souhaite des jours
comme celui-là. Parce que si vous, vous déprimez parfois parce que
vous vous trouvez une nouvelle ride dans le miroir ou parce que la
glace autour de votre point d'indice fond moins vite que la
banquise, qu'est-ce qu'il devrait dire, Lui ? ! Ce n'est pas des
prières, qu'il faut Lui envoyer. Ce sont des camions
d'antidépresseurs.
Et à côté de ça, nous, on existe à peine, mais on a le potentiel
de nuisance d'une armée de divinités nordiques, sans les casques
avec les ailes et le romantisme Wagnerien (on a plus hérité de
l'autre côté de Wagner, hélas, celui dont il ne fait pas bon
parler).
Je vais vous faire une confidence : quand j'étais môme, je rêvais
d'être un super héros pour venir en aide aux plus faibles, et je
ne comprenais pas tous ces super méchants qui étaient jadis bons
et qui retournaient leur veste à force de trop avoir été déçus par
l'humanité, trahis ou éconduits sur Tinder. Aujourd'hui, je les
comprends, même si ça matche beaucoup pour moi, attention,
j'insiste, j'intéresse énormément de bots et de jeunes femmes
slaves qui lisent notre avenir commun dans le numéro de ma carte
bleue.
Tout ça pour dire : ne blâmez pas Dieu, alors. Blâmez les hommes.
Nous sommes lamentables. Chaque jour apporte son lot de preuves indiscutables, et ceux à venir ne feront pas exception : le drame est derrière nous, le choc est passé, place à présent au grand bal des vautours de la récup', à Droite autant qu'à Gauche (et vice versa), et leurs cortèges d'indécences ordinaires.
Dans son message hommage à Samuel Paty, daté de ce matin, notre Ministre évoque les Lumières.
Nous les avons éteintes depuis longtemps.
Alors moi, ce soir, comme j'ai jadis affiché Je Suis Charlie par principe, j'ose : Je suis Dieu.
Et avec Lui, ce soir, comme beaucoup d'autres soirs, au-delà de la colère, je Pleure.
Avec la majuscule.
Ne vous en souhaitant pas moins un très bon week-end, et vous
communiquant ci-joint le planning de la semaine à venir,
Bien cordialement,
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