Où faute d'inspiration, on en revient éhontément aux valeurs sûres...
Bonsoir à tous,
Veuillez trouver ci-joint le planning de la semaine à venir ;
l'occasion pour moi de revenir ci-après sur un possible
malentendu, susceptible d'en avoir fâché certains.
Cette année, on m'a demandé si je voulais encadrer la sortie dans le Lubéron. J'ai
ri. Je m'en excuse. Ce n'était pas volontaire. Sur le moment, j'ai
vraiment cru qu'il s'agissait d'une plaisanterie. Je veux dire,
vos enfants, vous les aimez, non ? Ne niez pas. J'ai vu un
reportage sur vous à la télé, vous êtes génétiquement tenus de les
chérir. Dès lors, est-ce que vous iriez les confier à Gargamel ?
Rien qu'au nom, déjà, vous sentez intuitivement que ce serait une
mauvaise idée, que cet homme n'est pas une bonne personne, surtout
si vous êtes bleu coiffé d'un bonnet blanc (nous ne jugeons pas),
quand bien même ses tarifs seraient-ils plus compétitifs que ceux
de Cruella d'Enfer (on est d'accord que l'état civil, depuis
quelques temps, c'est vraiment n'importe quoi ou bien ?!). Vous
n'iriez pas non plus, que sais-je, inscrire votre progéniture au
Centre Aéré Friedrich Nietzche pour Jeunes Nihilistes parce qu'il
est 30% moins cher que le Club de Loisir Joyeux de l'Ours Babalou
? Bien sûr que non ; ne serait-ce que parce que Babalou est plus
confortable à écrire que Friedrich Nietzsche sur les talons de
chèque. Oui, j'ai googlé. Deux fois. Ou tenez, même, si Hannibal
Lecter, la terreur des bibliothèques, vous disait en face et les
yeux dans les yeux "j'ai changé", comme n'importe quel
politicien en campagne, vous ne le croiriez pas sur parole. Vous
demanderiez prudemment "...de fournisseur" ? ! Et vous auriez
raison. C'est dire si l'idée était saugrenue, quand bien même
ai-je énormément à apporter à nos élèves en matière de joie de
vivre et de foi en l'humanité. D'où mon incrédulité initiale.
Quand j'ai compris que la requête était sérieuse, qu'il ne
s'agissait pas d'une caméra cachée, que je n'allais pas pouvoir
gagner un caméscope ni rencontrer Marcel Béliveau, j'ai pesé le
contre et le contre et j'ai répondu "ha ben non" avec toute
l'éloquence qui me caractérise. Avant d'ajouter un "grave pas"
à vocation hyperbolique.
On a voulu savoir pourquoi. J'ai
précisé : "ce n'est pas que je ne veux pas, c'est que je ne
peux pas". "Encadrer la sortie ?" a-t-on tenté de
clarifier. "Encadrer les élèves" ai-je corrigé en retour. "Je
n'ai jamais pu les encadrer. Pas aujourd'hui davantage qu'hier. Je pensais
que c'était acquis, depuis le temps". On m'a dit que je
prenais les choses de façon trop imagée, que le verbe encadrer
était ici à envisager au sens littéral. Je suis donc passé chez
Cadrea pour faire établir un devis. Au regard de quoi on m'a dit
que j'étais TROP littéral, sur ce coup. Vous les terriens vous êtes
décidément des êtres bien compliqués. Dans un sursaut surhumain de
bonne volonté, sans doute le signe avant-coureur d'un virus
saisonnier, j'ai demandé si le Lubéron, c'était ce grand parc
d'attraction dans le Vercors où un riche millionnaire américain
avait cloné des dinosaures, plutôt que d'organiser des battues
dans l'hémicycle. On m'a répondu que je confondais ; que ça,
c'était la ferme aux reptiles. J'ai rétorqué qu'on revienne me
chercher quand on ferait la sortie à la ferme aux reptiles,
alors. Non seulement j'encadrerais avec joie mais je payerais même
de ma poche les cartons de Digédril (tm) pour les crocos, histoire
de leur éviter les reflux acides. Je ne sais que trop ce que
c'est, et pourtant je ne mange pas de ce pain là, je me contente
de le côtoyer cinq jours par semaine.
Après, je me disais, on pourrait faire ça en Ardèche, ça me
motiverait déjà plus. C'est bien aussi, l'Ardèche, quand on est
passionné par tout ce qui est préhistorique et dangereux avec des
écailles sur la tête. Je n'ai rien inventé. Jurassic World 3, en
Ardèche, on appelle ça "un jeudi". On pourrait s'organiser
ça à la Koh Lanta, on les y
abandonnerait pendant une semaine, en autonomie (c'est bon, ça,
l'autonomie, ça entretient la confiance), histoire de bien
s'assurer qu'ils resserrent les liens - si ce n'est entre eux, au
moins, ceux des membres de l'équipe adverse qu'ils ont capturé sur
leur territoire. Et puis non sans un petit pincement nostalgique,
on retournerait chercher ceux qui auront appris à faire de la
crème de marron et à distiller l'alcool de prune. Hé quoi. Il faut
la mériter, sa place, au sein de la société. Oui ou non ? Mine de
rien, c'est pluri-disciplinaire, l'alcool de prune : SVT,
Physique-Chimie, Technologie, Droit pénal... l'essentiel y est.
A-t-on besoin de plus pour devenir un adulte épanoui ? D'autant
qu'une sortie scolaire où les élèves ne courent pas le risque de
se faire courser par un sanglier au clair de lune n'est pas une
sortie scolaire digne de ce nom. Je suis sûr d'avoir lu ça dans un
Dolto. C'est formateur, de se faire courser par un sanglier, quand
on ne sait pas les différencier d'un mouton. ça favorise
l'apprentissage. On néglige trop l'apport pédagogique du facteur
survie dans l'intégration des fondamentaux. Reste la difficulté
de faire signer le formulaire de droit à l'image aux sangliers,
dont on sait qu'ils sont de grands phobiques administratifs. Mais
on arrive bien à récupérer nos coupons de bourse en moins d'un
mois et demi... on trouvera un moyen. Ou on se contentera de les
prendre en photo de dos pour ne pas qu'on les reconnaisse. Quitte
à entendre Jean-Dylan s'exclamer : "pourquoi elle est toute
grise, la vache ?". Ce sont les risques du métier.
En espérant avoir dissipé toute ambiguïté, et vous souhaitant un
excellent week-end, en terres sauvages de votre choix,
Bien cordialement,
Le secrétaire de direction
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