"Chut, chut, ce n'était qu'un vilain cauchemar... Nous voilà revenus en cette bonne vieille année 1950 !"
Où l'on termine sur la cale des genoux ces trois semaines de double temps plein, avec une petite grève en prime pour mettre de l'ambiance...
Bonsoir à tous,
Comme attendu, je vous transfère ci-joint le planning de la semaine à venir.
Et sans plus de cérémonie, retrouvez notre rubrique hebdomadaire :
"Comment ça se passe au secrétariat en l'absence du secrétaire élève ?" :
Ceci posé, j'aimerais profiter de cette fin de semaine et de tout
mon temps libre au secrétariat pour revenir sur l'actualité.
En l'occurrence, j'avoue, quand le préavis de grève pour la journée du 1er février est tombé, j'ai un peu paniqué, je me suis dit : attends, les agriculteurs bloquent l'autoroute et la voie express, les taxis bloquent le centre ville, du coup, qu'est-ce qu'on va bien pouvoir bloquer, nous ? J'ai appelé la préfecture pour savoir un peu, ils m'ont dit que la rue George Clemenceau était libre à Pont d'Isère, mais qu'il fallait vite réserver si on était intéressés parce que l'amicale des fans de Patrick Fiory avait posé une option dessus et qu'ils étaient au moins quatre.
Parce que oui, au départ, cette grève-là, j'étais prêt à la faire, histoire d'avancer un peu dans la campagne principale de Robocop sur Playstation 5 (hé quoi ? C'était complètement dans le thème), et puis un peu par conviction aussi, de temps en temps ça me prend, comme une crise d'urticaire de l'âme que ne saurait pas soulager la douce pommade de mon indifférence. Seulement voilà : par un mail syndical reçu dans la boîte de l'établissement, j'apprends que cette grève s'oppose également à la Marseillaise à l'école, à plus d'autorité, à l'uniforme, bref, le texte le revendique explicitement : "contre le retour aux années 50".
Et là, je ne peux pas vous suivre parce que bon, quand même, les
années 50, c'était le plein emploi, c'était l'enfance sans
internet, c'était deux milliards et demi d'humains sur terre,
c'était moins de pollution, c'était plus d'arbres en Amazonie,
c'était Trenet, Brel, Louis Armstrong, et puis Audrey Hepburn, bon
sang, Audrey Hepburn ! Sans parler de toutes les espèces qui se
sont éteintes entre temps, à l'instar du dodo (ceux qu'on compte
avant Noël ne comptent pas), du respect et du goût de l'effort. Du
coup, moi, je me dis "hé, un retour aux années 50, ce ne serait
pas si mal, au fond, après tout les ardéchois vivent ça tous les
soirs quand ils rentrent chez eux et aucun ne s'est jamais
plaint alors pourquoi pas nous ?".
Bon, après, la Marseillaise, ok, c'est un peu daté, je vous l'accorde. "Qu'un sang impur abreuve nos sillons", en période de vigipirate renforcé, ça la fout un peu mal, et puis à force de répéter ça tous les jours, même avec un accompagnement musical, ça pourrait susciter des vocations. On sait jamais, à force de crier "Aux armes !", il y en a qui pourraient prendre ça pour une invitation. "Ben qu'est-ce que tu fais Mathéo ?" "C'est rien ça, M'dame, c'est mon TP sur la Marseillaise" "ha d'accord. Bon ben tu passeras la serpillère après". Et puis je sais bien que l'Eurovision occupe une place privilégiée dans le coeur des français, et qu'à cet égard chanter faux sur des accords faciles c'est une part de notre héritage culturel, mais la Marseillaise, à l'oreille, c'est pas très folichon, on dirait un générique du Club Dorothée, un de ceux chantés par Bernard Minet, genre les Chevaliers du Zodiaque - mais si, vous savez, ceux "qui s'en vont toujours à l'attaque, en chantant une chanson bien haut, c'est la chanson des héros" (et tant pis si c'est ridicule parce que le ridicule ne tue pas et que ce qui ne tue pas nous rend plus fort, ce qui arrange bien leurs petites affaires). Sans mentir, chaque fois que j'entends la Marseillaise, je ne peux pas m'empêcher d'imaginer le résumé de l'épisode derrière : "précédemment, dans les Barricades de l'Infini : alors que Super Gavroche fait appel à l'esprit révolutionnaire pour terrasser Oméga Voltaire, ce dernier utilise la technique secrète du protestantisme pour lui renvoyer son attaque à bout portant. Evil Rousseau en profite pour lui asséner le coup de grâce à l'aide de la technique ancestrale de la Confession, de l'école dite du Gros Mytho. Grièvement blessé, Super Gavroche se retrouve à terre (c'est la faute à Voltaire) le nez dans le ruisseau (c'est la faute à Rousseau). Pendant ce temps, à la Commune, Cyber Jean Valjean tire des rayons lasers avec les yeux sur la Tour Eiffel sans aucune raison valable parce que c'est japonais et que c'est comme ça qu'on fait pour meubler dans les dessins animés japonais...".(oui, je sais, j'ai une conception assez malléable de l'Histoire de France en général - de Gaulle, blague contextuelle - et de sa chronologie en particulier. Mais les japonais aussi, à ma décharge).
Je suis donc plutôt pour qu'on remplace ladite Marseillaise par
quelque chose d'un peu plus moderne, d'un peu plus bienveillant -
en un mot : d'un peu plus ouvert, et pas à la baïonnette. Après,
la difficulté, c'est qu'il faut quelque chose que notre équipe de
foot serait capable d'apprendre par cœur, ce qui réduit grandement
l'éventail des possibles. Pandi-Panda, petit ourson de Chine,
peut-être. Si on s'en tient à "Pandi", ça peut se tenter. A
moyen terme. Ou non, attendez, mieux : "On est champions",
de Johnny Hallyday. ça ferait un bel hymne national ça : "on
est champions / on est tous ensemble / c'est le grand jeu / la
France est debout". En plus il l'a chantée l'année où ils
ont refusé de descendre du bus et je trouve que le décalage
correspond plutôt bien à notre mentalité.
Sur la question de l'autorité, par contre, je ne suis pas
prêt à transiger. Alors je sais, depuis qu'on a sanctifié
l'éducation bienveillante, c'est devenu un gros mot, un mot de
droite, un mot tabou, d'ailleurs désormais dans les cours d'école
on ne joue plus à "ni oui ni non" mais juste à "ni non"
parce que "ni oui" est vécu par les enfants et leurs
parents comme de la maltraitance. Personne n'aime ça, l'autorité.
C'est un peu les salsifis de la vie en collectivité. Certains
diront qu'il faut quand même en manger de temps en temps pour
s'habituer à d'autres saveurs mais les pédagogues sont formels,
c'est de la maltraitance aussi, et la place de ceux qui font
manger des salsifis à leurs enfants est en prison. C'est le cycle
de la Vie du Roi Lion, mais version 35 heures : les élèves
n'aiment pas les profs, les profs n'aiment pas les chefs
d'établissement, les chefs d'établissement n'aiment pas le
rectorat, le rectorat n'aime pas le ministère, le ministère n'aime
pas les lobbys finan... euh, hum, pardon, je m'emporte. ça vaaaa,
ooooh, on riiiigooooole, c'est de la caricature, enfin.
Heureusement. Sinon, dans quel triste monde on vivrait !
Tout ça pour dire qu'on n'est plus dans les années 80, coco, on a fait chauffer les neurones, on a compris que les punitions, ça servait à rien, c'était rétrograde et inhumain, qu'il valait mieux expliquer avec bienveillance, que l'enfant derrière il entend, il comprend et il ne recommence plus, parce que l'enfant, il est intelligent, tu vois. Alors que les punitions, c'est violent, c'est stigmatisant et ça ne marche pas. C'est d'ailleurs pour ça que depuis quelques années, on a arrêté de mettre les criminels en prison. Ben oui. ça sert à rien de punir on a dit. Du coup, on leur explique, on leur dit "c'est pas bien", par acquis de conscience on les oblige à suivre deux cours d'empathie niveau primaire, histoire de rentabiliser les formations, et puis on les libère. Et là, vous me direz : Guillaume, il faut arrêter de faire du mauvais esprit, ce n'est pas du tout la même chose, là on parle d'adultes, on ne peut pas s'adresser à eux comme à des enfants, ils n'ont pas les mêmes capacité de compréhension. Et puis les enfants, ils sont purs et innocents, je l'ai lu dans le cahier bien-être de Biba. Quand ils arrachent les ailes des mouches, c'est pour plus qu'elles se cognent aux vitres et qu'elles se fassent mal. C'est tellement mignon, un enfant. Un criminel, beaucoup moins. A part dans Prison Break.
Non, vraiment, il faut arrêter avec l'autorité, c'est un concept fasciste qui vise à la soumission des individus, et pas du tout une nécessité sociétale dans un monde où ma liberté commence où s'arrête celle des autres - c'est-à-dire nulle part, tant pis pour moi, ça m'apprendra à ne pas appartenir au camp des winners. On est en 2024, bon sang ! Les gens n'ont plus besoin qu'on les materne, ils savent se réguler tout seul, ils sont assez grands pour, ils n'ont pas besoin qu'on leur dise quoi faire ou qu'on les oblige. Tenez, regardez, sur la route, tout le monde fait ce qu'il veut comme il veut et est-ce que ça pose le moindre probl... oui, non, oubliez, c'est pas un bon exemple, mais je suis sûr qu'il y a un domaine dans lequel ça marche. Tenez, si je pose une assiette de salsifis, là, maintenant, personne n'y touchera sans autorisation (et même avec autorisation, d'ailleurs, c'est vous dire si nous sommes disciplinés quand il est question de légumes dég*ulasses).
Je profite de cette occasion pour partager avec vous mon plus beau souvenir
d'éducation bienveillante, qui saura vous arracher à coup sûr
une larmichette d'émotion : c'était il y a cinq ou six ans, à
l'aéroport de Lyon Saint Exupéry, une histoire de petit prince, justement, je faisais la queue à
l'enregistrement avec plusieurs centaines d'autres moutons, et il y avait ce petit gamin, là, blond
comme une affiche du rassemblement national, à plat ventre sur
le sol, littéralement, qui nageait une belle brasse coulée sur le carrelage, ses bras et
ses jambes parfaitement coordonnés, en mouvements amples,
gracieux,
comme une petite grenouille en short de dessin animé, fendant la foule dans
un sens, puis dans l'autre, comme si elle était seule au monde,
sous l’œil attendri de ses deux "parents" (faute d'un terme plus
approprié), tous deux cote-à-cote le front haut, le menton relevé, toisant les personnes présentes d'un air de dire "allez, vas-y, fais-là, ta réflexion, j'attends que ça, mon compte
Twitter est chaud". Après quoi comme nul ne réagissait, à leur
grand désespoir, ils ont dû lui demander discrètement de mettre
la barre plus haut vu qu'il a entrepris de lécher goulument les plots en métal qui séparaient les files
d'attente, avec un air gourmand à la Cyril Lignac, et j'ai
mentalement adressé un big up à son système immunitaire. C'était pas Il était une Fois la Vie,
dans son petit corps d'enfant de quatre ans, c'était The
Walking Dead : Maestro il était planqué derrière une
barricade en train d'arroser des globules mutants à la
kalachnikov. A la maternelle, les maitresses ont dû être
stupéfaites. "Dites donc, c'est fou, Timéo, il ne tombe
jamais malade, on a jamais vu ça", "ha si, si, si, quand même, il a été
un peu secoué quand il a choppé la malaria en suçant les bouches d’égout à
Disneyland mais depuis qu'il boit l'eau du Gange, c'est le rhume qui le craint plutôt que l'inverse". Aux
dernières nouvelles, la covid était toujours en train de chercher une variante exprès pour Timéo, mais c'est galère. Chaque fois qu'elle tente un truc elle
se fait bouffer par le chikungunya. Bon, après, ça a été moins
drôle, on est passés en salle d'attente, Timéo s'est dirigé vers
le piano pour nous interpréter ses plus grands succès
populaires, ça a duré une demi-heure, les parents avaient
tellement le menton relevé qu'ils ont failli basculer en
arrière. Et moi, j'ai failli rebrousser chemin et traverser la
Manche à la nage, en brasse coulée.
Enfin, l'uniforme. Sur cette question non plus, je ne ferai pas de concessions. L'uniforme, je suis pour à 100%, et je sais bien que vous désapprouvez, au fond, que vous jugez le principe rétrograde, mais c'est parce que vous n'avez pas une vision d'ensemble. La preuve ?! Il ne me faudra pas plus d'une phrase pour vous faire changer d'avis. On parie ? Attention, c'est parti. L'uniforme, c'est la fin des claquettes-chaussettes. Eh oui. Imaginez. Imaginez un monde magique où les élèves ne viennent pas au collège en pyjama, un monde où ils portent leurs sous-vêtements SOUS leurs VÊTEMENTS (c'est fou), un monde où on ne porte plus plainte pour vol de moufles Gucci en plumes d'autruche à 70 balles pièce ! Vous entendez, les oiseaux qui chantent ? Vous le voyez, le double arc en ciel ? Terminées les heures à passer devant Cristina Cordula pour ne plus confondre kimono et Abaya, ou à se demander à partir de quel centimètre une jupe cesse d'être un outil d'émancipation pour devenir un vecteur d'objectivation de la condition féminine ! Ai-je entendu crier "Hosana !" ?! Oui mes frères ! Oui, réjouissons-nous ! Le paradis terrestre existe, et nous en serons l'artisan ! Alors j'entends bien que cette mesure ne fait pas l'unanimité, bien sûr. J'ai notamment vu une caricature de presse sur internet qui suggérait que l'uniforme n'éviterait pas davantage la discrimination, car celle-ci se reporterait sur le choix des cartables. C'est un bel argument. Qui marche pour absolument tout, notez. Tenez, par exemple, l'égalité des salaires hommes-femmes n'éviterait pas davantage la discrimination, car celle-ci se reporterait sur le harcèlement de rue. Du coup, on laisse tomber, on est d'accord ?! Non ? Et puis c'est par le vêtement que l'enfant affirme sa personnalité, qu'il se distingue des autres, qu'il fait l'apprentissage de son individualité : enlevez-lui son crocodile sur la casquette ou son logo Nike sur ses pompes et holala, tragédie, il n'est plus personne, le voilà forcé de se distinguer pour ce qu'il est, et non pour ce dont il a l'air, il est extirpé du diktat de l'apparence et pire encore, il cesse de payer cher pour faire gratuitement de la pub à des sociétés multimilliardaires ! Effectivement, vu sous cet angle, on retombe dans la maltraitance.
Et pourtant j'irai même plus loin : les parents veulent pouvoir
joindre leur progéniture à toute heure ? Qu'à cela ne tienne !
Qu'on fournisse un téléphone portable à tous les enfants ! Mais
attention, pas n'importe quel portable. Un Nokia de 2012. Comme
ça, plus de problème dans la cour de récréation, plus de vidéos
abjectes qui circulent, plus de pornographie en libre accès dès la
primaire, plus de challenges dangereux, plus de profs filmés pour
faire rire les potes, plus de jeux vidéo jusqu'à pas d'heure, plus
de nudes qui circulent, plus de harcèlement sur les réseaux
sociaux, plus de culte de la superficialité ! Eh quoi ? Le but,
c'est de pouvoir les joindre, ils sont joignables, fin de
l'histoire. Alors bien sûr, c'est de la maltraitance aussi que de
les priver des réseaux sociaux sur lesquels ils n'ont pas le droit
d'aller avant leurs 17 ans ! Mais là encore, imaginez-les en train
d'envoyer un texto ! A devoir taper quatre ou cinq fois sur la
même touche pour obtenir la bonne lettre ! L'effort qu'ils
devraient déployer pour rédiger jusqu'au plus infime SMS les
pousserait à s'interroger en permanence sur la valeur de leur
prise de parole : sa nécessité, sa pertinence, son sens profond.
Le moindre "wesh bien ou bien" leur prendrait deux heures.
Ainsi feraient-ils l'expérience de la profonde vacuité de l'acte
locutoire. Ils se rendraient compte que neuf fois sur dix, ce
qu'ils ont à dire, ils peuvent aussi bien le garder pour eux que
la terre ne s'arrêterait pas de tourner (pour ceux d'entre eux qui
savent qu'elle tourne, évidemment, c'est-à-dire 20%). Et puis
allez développer une addiction aux jeux vidéo avec un Nokia de
2012 ! Au mieux, deux choix possibles : le Serpent, ou le SuDoKu.
Or pour ce qui est du SuDoKu, déjà, c'est mort, il y a des
chiffres comme dans le cours de maths et ils ne les connaissent
que jusqu'à sept. Quant au Serpent, trois minutes passées dessus
réconcilieraient n'importe quel individu avec les vertus créatives
de l'ennui. Cerise sur le gâteau : l'appareil en question
coûterait quinze balles, soit moins de 5% du prix de leurs
smartphones. Au-delà, surtout, ça leur rendrait ce droit pourtant
inaliénable dont nous, adultes, les avons odieusement privés à
trop vouloir être de notre temps plutôt que des années 50. Le
droit d'être des enfants, purement et simplement.
Alors, bien sûr, cela peut ressembler à un retour en arrière, j'en ai conscience. Mais quand vous partez en vacances et que vous vous trompez de voie, vous persistez dans votre erreur au motif que la terre est ronde et que vous finirez bien par en faire le tour, ou vous faites demi tour ?
Vous souhaitant un week-end diamant sur canapé,
Bien cordialement,
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